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Début août, l’auteur de bande dessinée Quentin Zuttion a décidé de publier un post par jour sur son compte Instagram. On le voit afficher le décompte de la sortie de son nouveau roman graphique, Salon de beauté (Dupuis, 184 pages, 24,50 euros). Avec une dizaine d’exemplaires de son album, il construit tantôt une petite cabane, tantôt une table de chevet, tantôt une vitrine d’exposition… Une manière de désacraliser l’objet livre qui prête à sourire.
Le 28 août, à l’Olympic Café, dans le 18e arrondissement de Paris, c’est à la drag-queen Sciatique qu’il a confié l’animation de la soirée de lancement de son ouvrage. Après une série de questions-réponses aussi drôles que touchantes (dont un « Est-ce que tu m’aimes ? » formulé sur un ton facétieux), la flamboyante performeuse a enchanté la soixantaine de convives en reprenant Le monde est stone, de Fabienne Thibeault, extrait de la comédie musicale Starmania, et Moi… Lolita, d’Alizée. Des tubes pop emblématiques de deux époques fort différentes, les années 1970-1980 et les années 2000. Deux chansons qui occupent, avec l’entêtant Tainted Love, de Soft Cell, une place de choix dans l’imaginaire de Quentin Zuttion comme dans son Salon de beauté.
Cette apparente légèreté tranche radicalement avec le ton tragique de cette adaptation du roman du même nom du Mexicain Mario Bellatin (Stock, 2000). Jeshua, Isai et Alex sont trois homosexuels qui aiment autant shampouiner les cheveux de leurs clientes le jour que faire la fête et batifoler la nuit venue en travestis. Un étrange syndrome vient soudain mettre un terme à leur quotidien insouciant. Ce mal qui les ronge se manifeste entre autres par l’apparition d’écailles de poisson sur la peau… Un choix graphique d’une poésie certaine, métaphore claire du sida et des sarcomes de Kaposi, ces tumeurs cutanées provoquées par la maladie.
La découverte du roman, que Camille Grenier, son éditrice chez Dupuis, a mis entre les mains de Quentin Zuttion, a été pour ce dernier un choc. « Je n’avais jamais rien lu en fiction sur le sida. Et même s’il s’agit d’une œuvre de fiction, le film 120 battements par minute [de Robin Campillo, 2017] reste très inspiré de faits réels », raconte le bédéaste de 34 ans rencontré chez lui, une ancienne loge de concierge en arrière-cour d’un immeuble du 18e arrondissement parisien, dans la torpeur d’une soirée de début août.
Le court texte de Mario Bellatin, qui ne contient aucun dialogue et ne nomme pas les personnages, constituait à première vue un canevas idéal : « A la lecture, plein d’images me sont apparues, et je me suis dit que le travail ne serait pas compliqué. En réalité, ça a été beaucoup plus difficile. » Pour s’approprier l’œuvre originale, il aura fallu deux ans à Quentin Zuttion, qui a publié sa première BD, Sous le lit (Editions Lapin), en 2016. Ce laborieux processus créatif s’est accompagné d’une psychothérapie douloureuse mais salvatrice – un sujet qui revient régulièrement dans son propos, sous forme de plaisanterie ou sur un ton plus solennel.
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